SEMER ET FAIRE SEMER

17.05.2022

Ils arpentent le Neuhof à nos côtés depuis plusieurs saisons, œuvrant dans l’ombre pour que chacun, à tout âge puisse pleinement s’emparer de la proposition artistique qui va lui être proposée. Certains d’entre eux ont commencé par notre entremise, et dorénavant voguent de projet en projet auprès de plusieurs partenaires sur le quartier sans même que nous ne soyons sollicités. C’est évidemment très agréable d’observer cet essaimage, et sa portée à court et moyen terme. Leur talent et leur facilité de transmission saute aux yeux, aux nôtres bien sûr, mais aussi de tous ceux qu’ils croisent, petits et grands. C'est pour ces raisons que cette saison, en plus de leurs domaines d’interventions habituels, nous avons décidé de leur laisser la main sur un projet de pratique artistique ambitieux autour des percussions, mené auprès de 8 classes de l’école Guynemer 1 et Reuss 1. De quoi largement nourrir cette belle rencontre avec Hélène Rigollet et Boris Desmares.

Pour commencer… qui êtes-vous ? Quel est votre métier ?

Hélène Rigollet : Je suis musicienne intervenante, flûtiste et en quelque sorte, médiatrice culturelle.

Boris Desmares : Je suis batteur depuis assez longtemps mais je me suis tourné vers d’autres instruments comme la guitare et le piano en autodidacte. Le solfège ayant un problème avec
moi, j’aime trouver des alternatives à cette forme d’écriture. De fait, je m’emploie à essayer de vulgariser, simplifier et rendre accessible la musique. Le métier de musicien intervenant permet de faire un pont très harmonieux entre la création et la transmission. Que ce soit en milieu scolaire, en Ehpad, en crèches ou aussi en milieu carcéral, tout est envisageable ! Chaque projet est cousu main et doit s’adapter au public visé, au milieu dans lequel il s’inscrit, et dans un temps en général assez bref (1 séance d’une heure par semaine pendant 3 mois par exemple).

Comment devient-on musicien.ne intervenant.e ? Que requiert cet art de la transmission ?

H.R. : La formation qui prépare à ce métier s’appelle le CFMI (Centre de Formation de Musiciens Intervenants). Cette formation nous plonge dans toutes les situations auxquelles un musicien intervenant pourrait être confronté, et nous montre également celles qui sont à inventer. Ce métier est encore nouveau je pense, car il demande beaucoup d’expérience et de recul. Être musicien intervenant demande une réelle capacité à s’adapter à toute situation tout en gardant son fil rouge. La meilleure partie de ce métier pour moi, c’est qu’aucun jour ne se ressemble ! Un jour, on peut être face à des jeunes adultes, puis le lendemain face à des nourrissons puis deux heures plus tard face à une soixantaine d’enfants en train de taper en rythme (on essaie !) sur des panneaux de signalisation.

B.D. : Le centre de formation des musiciens intervenants (CFMI) de Sélestat à été une expérience très riche à plusieurs niveaux. La plaquette d’étude est très éclectique ; elle offre énormément d’outils et par ailleurs on est formés très tôt au terrain. En deux années, on vous lâche dans la nature mais vous n’arrêtez jamais de progresser pour autant.

Venons-en au projet “La Grande Ville” que vous déployez depuis janvier auprès de 8 classes des écoles Guynemer 1 et Reuss 1. Pouvez-vous décrire en quelques mots le projet ? Comment est-il né ? Quelle en est la finalité ?

H.R. : Le projet est né d’une amitié et de l’envie de travailler ensemble avec Boris et Ambroise, de ne plus travailler chacun dans notre coin. Une envie de s’investir et de mettre notre temps dans un projet personnel, dont on sera fiers. Une envie de faire perdurer ce que nous avons appris au CFMI, mais avec notre propre vision. Une envie de sauter dans l’inconnu pour ma part, car le projet n’a démarré que sur l’idée de jouer sur des instruments de chantier ! Mais en étant bien entourés, on arrive à ce que l’on veut. La finalité de cette année, c’est de tester toutes les capacités du jeu des instruments, des enfants et de la mise en espace dans un délai de 13 séances par classe. C’est un réel laboratoire que nous avons eu l’occasion de monter cette année. Pour voir plus loin, nous aimerions nous mettre nous-même en scène avec ces instruments et nos propres instruments. Un spectacle verra peut-être le jour.

B.D. : Nous voulions effectivement travailler ensemble depuis un bon moment. Un jour, j’ai apporté un poulet chez eux et on a commencé à imaginer un spectacle pour enfants. L’instrumentarium s’inspire d’un module de musique collective dispensé au CFMI auquel nous avions participé ensemble. Nous avons créé une pièce qui nous correspond musicalement, qui nous satisfait. L’enjeu est de la retransmettre partie par partie à 60 enfants.

Déjà une anecdote à partager sur ce projet ?

H.R. : Pas encore de pépites d’enfants à raconter,
mais peut-être tous les types de matériaux que nous avons essayé pour taper sur nos plus gros instruments en tubes PVC. Des tongs, des chaussons (souples ou durs), des baskets, des raquettes de ping-pong (en plastique en bois), de la mousse, un tapis de yoga, un gant de cuisine (ouioui !) et tant d’autres choses que vous ne pouvez imaginer…

B.D. : Oui, j’ai dû réaliser une interview pour l’espace Django ! A croire que le projet est phénoménal, il faut vraiment venir le voir…

Lors de vos séances, y-a-t’il des signes auxquels vous êtes particulièrement attentifs ? Quel type de retours avez-vous des enfants, des enseignants, des personnels encadrants ?

H.R : Des sourires pendant qu’ils jouent, des « wesh merci Madame, c’est trop bien », des « on va quand à Django? on est prêts ! » font plaisir. Nous essayons de trouver un équilibre en menant les séances à 3, et je pense que nous nous complétons bien, avec nos
3 caractères différents. Un des aspects sur lequel j’essaie d’être attentive, c’est de ne laisser aucun enfant en retrait, sans objectif, sans nourriture musicale. Lorsque l’on travaille avec des grands groupes comme ce projet, c’est important. Il y en a qui peuvent ne pas se sentir concernés ou intégrés, et restent alors dans l’ombre. Alors que chacun a son rôle à jouer. Même lorsque l’enfant ne joue pas, il doit encore être dans la musique et ne pas penser à ce qu’il va manger ce midi par exemple !

B.D : C’est passionnant comme métier. Travailler avec l’humain, le faire progresser, s’éveiller, se sociabiliser, s’accomplir est tellement gratifiant. J’ai une attention toute particulière envers certains élèves qui peuvent être en difficulté. Les voir réussir au même titre que le reste du groupe est pour moi un credo.

Hélène, depuis maintenant deux ans tu te rends dans les différentes structures et écoles du quartier pour sensibiliser enfants et parents aux spectacles jeune public proposés à Django. Que retiens-tu de ces interventions ?

H.R. : Ces interventions sont ce que j’aime le plus dans ce métier. On est à la fois médiateur, artiste, et pédagogue. Préparer des enfants à aller assister à un spectacle, ce n’est pas leur raconter tout ce qu’ils vont voir, c’est les mettre à la place des artistes qu’ils vont voir sur scène. Pour un ciné-concert, c’est partir d’une image pour ensuite imaginer une ambiance sonore ; pour un concert immersif-sieste sonore, c’est arriver à détacher le contrôle des yeux pour laisser l’oreille se faire sa propre histoire etc… C’est donc un vrai pont qui se fait avec les enfants et le processus de création des artistes, et tout cela sème pendant quelques jours, une graine dans l’esprit des enfants et des personnes qui les accompagnent.