La parole à Cheap House

27.04.2020

« Le 14 mars, il y a exactement un mois, l’équipe Cheap House s’entretenait au soleil strasbourgeois sur les semaines à venir. Dernier bol d’air avant l’apnée. Le flou était tel à ce moment-là sur l’avenir proche du spectacle vivant que nous ne pouvions rien prévoir, seulement attendre une respiration.

Aujourd’hui les informations sont plus nombreuses et on sait plus ou moins à quelle sauce on va être mangé. Pour les artistes, cette crise, ça veut dire avant tout une chose : pas de scène pendant un nombre indéterminé de mois. Au minimum jusqu’à mi-juillet mais probablement jusqu’à septembre. Et au-delà de l’aspect économique, c’est surtout difficile moralement car le live, c’est notre vie.

Ça c’est le côté sombre du tableau... Mais avec Cheap House, on a cette chance d’être au premier stade de l’émergence. Comme beaucoup d’autres étapes et objectifs primordiales, la résidence avec Arnaud Rebotini pour l’opération Iceberg ou Les Inouïs du Printemps de Bourges sont encore à venir. Ces événements ne seront donc pas noyés dans la sidération du confinement : ils arriveront au moment où la vie culturelle redémarrera... Notre place est encore chaude, on est entré dans une sorte d’hibernation... de printemps.

Et puis bien que le live soit notre drogue, on a d’autres exutoires. Cheap House est un terrain de jeu fabuleux pour la création : début mars on était dans une vibe deep house, qui changeait des explorations techno indus, techhouse, edm (entre autres) qu’on avait pu développer avant. Quelle que soit l’inspiration qu’on saisisse, une fois passée à la moulinette de nos instrus et de notre impro, ça donnera toujours du Cheap House... avec des couleurs différentes. Alors même si c’est un peu étrange de ne pas pouvoir jouer ensemble, on se lance des idées à distance, on les retraite avec chacun notre patte, on joue sans jouer... On prépare le terrain pour la sortie de confinement. Un terrain sur lequel on construira notre premier EP, par exemple. Celui-là même qu’on enregistre cet été.

Enfin il y a les réseaux sociaux. Là, il y a d’un côté la possibilité de sortir du contenu « spécial confinement » avec les moyens du bord... Et de l‘autre l’envie d’attendre des jours plus ouverts en distillant ça-et-là quelques informations, des souvenirs, des live jamais publiés. Nous, on a plutôt opté pour l’option détente. Facebook et consorts sont surchargés d’infos et on a parfois du mal à suivre, alors on préfère ne pas en rajouter avec Cheap House, c’est un choix... Un choix motivé aussi par le refus de faire un compromis sur la pertinence de ce qu’on propose au public. On veut montrer du Cheap House, pas du Nils, du Paul, du Matthieu ou du Théo : du Cheap House. Et du bon.

On est optimiste. On sait qu’il y aura un nombre incalculable de petits drames, que tout le réseau va être en stress pendant au moins un an. Mais, venant d’Omezis, notre label et collectif, on entretient une philosophie de l’entraide et du dévouement personnel ; une conviction aussi de la force qu’on développe à mesure que les gens échangent. On la partage à travers tout ce qu’on fait : c’est le cas sur scène avec le public, et hors scène avec Junior 360, notre boîte de prod, avec Omezis bien sûr, avec vous l’Espace Django, avec les studios Kawati... Il y aura des difficultés économiques, des coquilles plus ou moins douloureuses dans le développement de certains projets, d’artistes ou de vies personnelles, mais au final, tout ce qu’on risque, c’est de prendre un peu plus de temps à accomplir ce qu’on avait prévu (et ce qu’on avait pas prévu).

S’il faut organiser des soirées de soutien et/ou y jouer, on sera là. S’il y a moyen de co-signer des textes, porter une parole à laquelle on adhère, on veut en être. S’il faut aller faire boum boum dans les apparts parce que les festivals et les salles ne peuvent pas rouvrir, on le fera en leur nom aussi. La création artistique a une seule vocation : faire apparaître des perspectives dans le crâne, le coeur et les yeux des gens (y compris de nous-mêmes). Il faut qu’on continue de les faire exister. »

Cheap House, avril 2020