POUR NE PAS OUBLIER…

13.11.2020

En novembre dernier, nous avons accueilli le groupe FERGESSEN pour une semaine d’ateliers auprès des seniors de deux établissements du quartier, l’accueil de jour Maryse Bastié de l’Abrapa et l’Ehpad Laury Munch, que nous avons ambiancés tout au long de l’été, pendant cette période encore trouble. Duo généreux, David et Michaëla ont offert, en plus de leurs guitares et de leurs voix, la possibilité à nos aînés d’écrire des textes et d’en faire une chanson. Tout au long de la semaine, tous se sont prêtés au jeu de l’écriture, sur le thème des « chansons d’amour », à travers plusieurs petits exercices, avant une restitution haute en couleurs. Une façon de faire vivre la mémoire, de faciliter la prise de parole et de prendre du plaisir à créer, à chanter, tous ensemble. Cette expérience s’est révélée tout à fait inédite, aussi pour les artistes. On leur a donc demandé de partager avec nous leurs impressions et leurs émotions !

Vous avez passé une semaine à nos côtés. Comment vous êtes-vous sentis ?

On s’est senti super bien, et accueilli chaleureusement tant par l’équipe de Django que dans les structures au sein desquelles nous avons travaillé. La semaine a été faite d’échanges simples, décontractés. On a senti de la bienveillance de toute part, chaque jour. Ça nous a permis d’aborder cette semaine avec le sourire, et donné l’envie d’être à la hauteur du défi, de générer quelque chose de beau, dont on se souviendrait tous.

Comment s’est passée la rencontre avec les participants aux ateliers ? Comment s’est développée cette relation avec des personnes plus âgées, parfois fragiles et isolées ?

Effectivement, il s’agissait de personnes âgées. Moyenne d’âge, 80 ans. On a tout de suite senti et compris qu’il était nécessaire de les mettre à l’aise et en confiance. D’abord parce que l’exercice d’écriture était totalement inédit pour eux. Et certains d’entre eux ont réagi avec une grande pudeur, parfaitement compréhensible, qui dans un premier temps les empêchait d’oser se livrer. Alors, on a choisi d’être doux, patients, souriants. On est allés au contact, au plus près d’eux, quitte à tenir le stylo pour eux s’il le fallait. Au début, on a beaucoup entendu « Mais je n’ai rien à dire… » ou « Je ne me souviens de rien… » ou « Mais je ne sais pas écrire ». Et puis, finalement, ça s’est mis à couler tout seul. Ils ont fini par se rendre compte qu’ils avaient tous quelque chose de singulier, d’authentique, d’émouvant à raconter. Il faut dire que les ateliers étaient basés sur le principe d’écriture collective. Ce concept leur semblait complètement abstrait au démarrage. Mais quand, à la fin du premier atelier, on a rassemblé et organisé toutes leurs idées pour leur lire à haute voix le fruit de leur travail collectif, là, ils ont pris conscience de ce qu’ils étaient capables de faire et de la magie du principe collectif. A partir de là, la confiance s’est installée. A la fin de chaque lecture, on voyait une belle étincelle dans leurs yeux. Ils étaient aussi bluffés que nous, à vrai dire. Tout le monde était ému, à chaque fois.

Y a-t-il eu des rebondissements pendant cette semaine ?

Chaque jour a été différent et contenait son lot de surprises. Plusieurs participants nous ont réservé des petits cadeaux : un concert de piano, une impro d’harmonica, un petit mot écrit… des petites engueulades, aussi. Entre eux, évidemment ! Bref, la vie en communauté, quoi !

Vous avez réussi à créer une chanson avec les participants, en partant de leur propre expérience de vie. Ce doit être un exercice particulier que d’écrire à partir de telles témoignages, bruts et spontanés ?

Oui, on avait déjà donné deux ateliers d’écriture pour les étudiants de l’Alliance Française, au Mexique, quelques mois plus tôt. Mais le faire avec des séniors, c’était inédit. On avait préparé quelques exercices d’écriture assez simples autour d’un début de phrase, dont on leur proposait d’écrire librement la suite. Ils en sont venus à nous livrer des témoignages magnifiques, des souvenirs tantôt drôles, tantôt poignants, le genre de choses que seuls les anciens vous racontent, parce que ça appartient à une autre époque. La guerre, bien sûr, est un sujet qui est souvent revenu. Mais ils ont aussi beaucoup parlé de danse, de voyages, vécus ou rêvés, et des gens qui leur sont ou leurs étaient chers. Ils nous ont fait rire aussi, beaucoup ! Ils ont des trésors de sagesse. Et il y a une grande poésie en eux, parce qu’il y a une grande poésie dans la spontanéité. On ne s’attendait pas à être aussi ému par ce qu’on allait entendre. Et ça s’est répété chaque jour. Chaque jour, on découvrait une perle.

Ce type de projets était nouveau pour vous. Que vous a-t-il apporté, d’un point de vue artistique, d’un point de vue personnel ?

On n’avait pas la moindre idée de la matière première qu’ils allaient nous livrer, ni de ce que serait le résultat final. Mais on avait toute confiance dans le fait qu’on réussirait à créer quelque chose, quitte à y mettre notre grain de sel. L’expérience nous a permis de réfléchir à une méthode simple et ludique d’écriture collective, et on s’est prêté au jeu, nous aussi. Chaque soir, on « dérushait », on relisait les textes bruts, on compilait, on organisait, on choisissait les images les plus fortes, les « punchlines », comme on dit, pour donner une direction au texte. Pour nous qui avons l’habitude d’écrire nos propres textes et chansons, se mettre au service de la matière fournie par d’autres, c’était très intéressant et plaisant. Au bout d’un jour ou deux, on a commencé à imaginer la couleur que ça pouvait prendre, et quelle forme musicale on pourrait donner à cet ensemble. Ça nous a permis de les orienter d’autant mieux, les jours suivants. En définitive, c’est le dernier soir, ou plutôt… la dernière nuit, qu’on a mis le tout en forme et en musique. Il y avait énormément de belles choses, qui partaient un peu dans tous les sens. Structurer le tout pour en faire une chanson en rimes et en strophes aurait impliqué des coupes trop franches. Alors, on a opté pour un pêle-mêle de morceaux choisis, dit en musique, avec un refrain chanté. D’un point de vue personnel, on s’est senti utile. On a eu le sentiment d’apporter du bien-être, de la joie, de créer de l’émulation. Ça nous a fait du bien. Il y a eu beaucoup d’émotions partagées, du rire aux larmes. Ils ont chanté, dansé, parlé, et surtout beaucoup souri. Il est arrivé que certains, certaines, nous prennent dans leurs bras, nous attrapent la main, nous serrent fort… C’était extrêmement touchant.

À quel défi ce projet vous a-t-il le plus exposé en tant qu’artistes ?

Le principal défi, pour nous, c’était que l’expérience leur apporte quelque chose, qu’ils soient contents, qu’ils prennent du plaisir à s’exprimer, qu’ils prennent conscience de leur richesse, de leur valeur et qu’ils se sentent fiers d’eux. De ce point de vue-là, ça nous a semblé réussi. On ne pouvait pas garantir que ça se produirait, mais on était disposés à s’adapter à eux autant que nécessaire pour que ça le fasse. Bref, on s’est placés dans le « don ». Et, comme la vie est bien faite, on a beaucoup reçu.

Un dernier mot pour Django ? 

Merci de nous avoir fait confiance, et bravo pour toutes les initiatives que vous menez dans le quartier, aussi bien auprès des jeunes que des aînés. Respect. You rock ! Au plaisir sincère de retravailler avec vous.