Mini Musica, ou la musique à hauteur d'enfant

Entretien avec Stéphane Roth, directeur du festival Musica.
27.09.2021

En quelques mots, peux-tu nous parler du programme concocté cette année : un bon cru le Musica 2021 ?

Cette année, on s’intéresse à la relation entre musique et environnement. L’écologie est devenue centrale dans nos vies et les artistes sont parfois les précurseurs de cette prise de conscience. C’est le cas, par exemple, du compositeur canadien Murray Schafer, disparu récemment et considéré comme le père de « l’écologie sonore ». La jeune génération intègre de plus en plus cette dimension, à l’image d’Alexander Schubert. Son projet Asterism reconstitue un environnement naturel, réel et numérique, au sein du théâtre du Maillon. C’est à la fois un concert, une installation multimédia et une performance qui va durer plus de 35h, jour et nuit, lors du week-end d’ouverture du festival. Une expérience inoubliable qui donnera le ton de cette édition !

Dans le contexte actuel, les conditions de préparation n’ont sans doute pas été simples. De ces contraintes sont-ils nés des opportunités ?

La crise sanitaire est plutôt un signal d’alerte qu’une opportunité. Au moment où nos façons de vivre en société sont radicalement remises en question, nous devrions sans doute tous et toutes prêter attention à notre environnement, aux autres, à nos lieux de vie, à nos politiques… Si la pandémie devait s’avérer être une chance, ce serait celle de voir le monde autrement : davantage de culture, de nature, de dialogue, de partage. Sans avoir la prétention de changer le monde, Musica essaie de s’inscrire dans cette voie, parce que la musique a le pouvoir de créer des liens au-delà des divisions sociales.

La saison dernière a été inaugurée la première édition de Mini Musica, la version jeune public du festival. Comment est née cette extension ? Quels en sont les objectifs ?

Musica a pu être perçu comme un festival exigeant, réservé aux mélomanes avertis. En réalité, tout est affaire de perception, car la création musicale, quand bien même elle pourrait dérouter l’auditeur, est beaucoup plus communicative qu’on ne le pense. C’est la raison pour laquelle on a souhaité développer un maximum de propositions pour les plus jeunes et les familles. On veut montrer que la musique contemporaine est un espace de liberté, accessible et ludique, mais aussi qu’elle ouvre nos oreilles sur des espaces imaginaires infinis.

Fin septembre, nous présentons ensemble à Django Amazônia, une expédition sonore immersive, inspirée par la forêt d’Amazonie. Paré pour le grand voyage donc ?

Le grand voyage « invisible » ! Parce qu’on va fermer nos yeux pendant le concert et laisser notre imagination reconstruire tout l’environnement à partir des sons. Ce projet que propose le duo Shapiri s’inspire de l’environnement sonore de la jungle amazonienne, mais aussi de l’expérience du chaman qui cherche des réponses en déambulant virtuellement dans un monde imaginaire. L’anthropologue Charles Stépanoff, également présent à Musica cette année, définit le chamanisme comme une « technologie de l’imagination ». L’idée que la musique électronique puisse nous entraîner dans des espaces parallèles n’est peut-être pas tirer par le cheveux…

Le partenariat avec Django s’étoffe chaque année. Une façon de croiser nos approches, nos publics, nos missions. Ce type d’échanges fait-il partie de l’ADN du projet Musica ?

C’est la vocation du festival de collaborer avec tous et toutes. Nous avons nos vieilles habitudes, nos partenaires historiques, tels que le TNS, l’Opéra ou l’Orchestre philharmonique… mais se joignent aussi depuis quelques années d’autres structures, impliquées socialement dans leur territoire, à l’image de Django. Le Neuhof est important pour moi, comme l’est le Port du Rhin, l’Elsau ou Hautepierre. Parce que de mon point de vue, la musique véritablement « nouvelle » se crée et s’abreuve aux marges, jamais au centre. L’image centre/périphérie qui est si fortement ancrée dans nos esprits d’Occidentaux urbains (ou de Strasbourgeois·e·s) doit être combattue. Dans la géographie, dans la vie, dans les arts… il n’y a pas un centre et des périphéries. Le monde est multipolaire et doit être reconnu comme tel.