Collège Solignac, Haut les c(h)oeurs !

Entretien avec Caroline Flauss, professeure d'éducation musicale au Collège Solignac
13.03.2023

Les six premiers mois suivant notre arrivée à la tête de l’Espace Django, nous avions arpenté le Neuhof à la rencontre de tout ce que le territoire compte d‘associatons, de partenaires, de personnes ressources. À présenter inlassablement l’ADN du projet que nous avions pensé, pour voir comment il pouvait entrer en résonnance avec ce que chacun portait déjà. Évidemment, nous avions vite toqué à la porte du Collège Solignac voisin, et notamment à celle de Caroline Flauss, professeure d’éducaton musicale. Une rencontre déclic et une longue route sillonnée ensemble depuis, avec des ambitons partagées entre le souci de l’exigence artistique et l‘amour sincère des collégien·nes neuhofois·es, une tranche d’âge à fort enjeu. Rencontre.

Bonjour ! Pour commencer, pouvez-vous vous présenter ?

Avec plaisir, mais après, c’est moi qui vous décris. Ma vie ressemble à un habit d’Arlequin. J’aime les métissages et j’essaie de les provoquer sur mon parcours. Ce n’est pas forcément facile, mais c’est riche, chatoyant et, à mon sens, c’est ce qui doit dessiner l’avenir, un peu comme ce que soutenait le philosophe Michel Serres. Dans ma trame, j’ai fait de la danse, du chant, du théâtre, du piano, ce qui m’a aidé à combattre ma timidité et à tisser des liens. À quinze ans, j’ai chanté dans la rue, c’est pour cela que je trouve vos incursions dans l’espace public, la tournée des récrés, les Concerts aux Fenêtres, vraiment précieuses. J’ai suivi une scolarité au lycée franco-allemand de Sarrebrück, enchaîné avec des études de musicologie à Metz puis enseigné neuf ans au Collège Iqbal Masih de Saint-Denis. J’ai adoré ces années. Elles m’ont apporté une force de caractère qui me manquait beaucoup. On y a mené des projets avec le Louvre, le quai Branly, la Cité de la musique (Folie), la Comédie française, le festival de Saint-Denis. Puis, j’ai rencontré mon mari à Berlin, d’où ma mutation à Strasbourg, à la frontière. Je suis prof de musique au collège Solignac depuis 2008 et travaille avec vous depuis environ sept ans.
Alors, vous maintenant, Django ! Apparemment, ce surnom de Jean Reinhardt voudrait dire « je réveille ». Alors, unissons-nous pour dire que DJANGO est un combat pour le plein de paix. Vous créez du tissu social et culturel grâce à votre métier à métisser.

55 minutes par classe et par semaine, ça passe vite. Quelle place pour la pratique et la découverte musicale dans le temps imparti ?

On commence le cours sans parler. Comme un rituel, on se sourit et on dialogue en percus corporelles. Il s’agit d’un moment d’empathie, de résonance, de partage, de doux réveil. Pour ce qui est de la découverte des timbres, des couleurs, des styles, des instruments, des genres, effectivement, le temps de préparation est long. Mais on doit le faire, ce serait sinon comme d’aller écouter un concert sans l’avoir travaillé en amont. Absurde, ou tout du moins, peu convaincant. Mais en troisième, c’est rodé et on écoute bien plus de morceaux. On chante aussi bien sûr et certains se libèrent pendant que d’autres inhalent la chanson plus que ne l’expirent, la gardent pour eux. En musique, on reconnaît plus vite les curseurs de générosité, de complexe ou de traumatisme chez les enfants. Il y a aussi des moments instrumentaux, au piano par exemple, desquels énormément de poésie se dégage. Si ces 55 minutes peuvent leur apporter un peu de poésie, c’est un pari réussi.

« Chaque élève est une réussite à plus ou lointaine échéance. On plante un pépin de poésie, et on verra bien. »

Les liens sont forts entre Django, le collège et tout son écosystème depuis plusieurs années, comment tout ce travail nourrit-il le vôtre au quotidien ?

C’est exactement cela, c’est un écosystème et le collège doit en être la pépinière. Une pépinière de citoyen·nes. Les élèves pépites se révèlent parfois à la lumière des projets que nous menons conjointement. Tout à coup, un grand troisième destiné aux métiers de la restauration se révèle être un excellent tromboniste. Ou encore une élève ultra timide se réalise en chef d’orchestre. Des exemples, il y en a plein. Grâce à cela, les élèves poussent dans un environnement sain, avec l’exigence du monde du spectacle, loin de toute démagogie. Vous m’aidez concrètement à les replanter dans la vraie vie. Ils rentrent à la maison avec plus de confiance en eux et avec de l’art à raconter. L’art comme engrais. Et ce qu’ils ont emmagasiné, personne ne pourra plus leur voler. Merci.

Vous avez beaucoup œuvré pour des projets où ce sont les plus jeunes qui font vivre la création musicale. Quel levier éducatif y voyez-vous ?

Il faut être honnête, quand on est prof, on a beaucoup d’enfants. Il s’agit de leur donner, leur transmettre, c’est la relève. Mais entrer dans un projet, c’est aussi leur faire découvrir leurs différentes intelligences et autres capacités d’adaptation. Certains sont plutôt cartésiens, linguistiques, visuels ou kinesthésiques. Tout le monde ne priorise pas ses oreilles et la gageure est là. Je dois « réveiller », autrement dit « djangoïser » les enfants. Et puis, l’art, c’est aussi fait pour s’échapper. Je laisse à chacun le loisir de s’en trouver une illustration.

Ces moments à part influencent-ils des apprentissages, et plus largement le quotidien de la classe ?

Pour les plus grands, quelques années plus tard, je revois des élèves hyper fiers de ce qu’ils ont vécu. Quand on a traversé quelque chose hors du temps, dans une salle noire en plein jour, entouré d’un silence propice à y poser une dentelle musicale, on se reconnaît comme artiste d’un jour, capable de sublimer le quotidien. Pour certaines classes, il y a eu un avant et un après projet, en passant de l’état de « plus que pénibles » à solidaire et concentré. Je me rappelle particulièrement cette classe de sixième qui, un an après, alors que l’effectif avait été redistribué, permettait de révéler les élèves qui avaient fait un projet des autres. Ces enfants sont plus ouverts, fiers
de savoir et largement empathiques.

« L’art, c’est aussi fait pour s’échapper. Je laisse à chacun le loisir de s’en trouver une illustration. »

À quel point cette circulation à double sens (Django – Collège, Collège – Django) est-elle porteuse de sens ?

Cela n’est définitivement pas à sens unique. Ce serait plutôt une circulation porteuse de sens giratoire dans lequel on prendrait tantôt le sens des aiguilles d‘une montre, tantôt le sens trigonométrique selon les collègues avec lesquels on monte le projet. En tous cas, le but souvent largement atteint est d’aiguiser le sens des responsabilités, le sens de l‘humour, le sens du devoir, le sens critique, le sens de l’esthétique et la sensibilité.

Quels souvenirs gardez-vous des projets menés ces dernières années ?

J’en garde un réconfortant sentiment de gratitude. Ces projets sont le signe d’une vraie démocrate. Les filles et les garçons jouent et expérimentent des ondes musicales émouvantes et troublantes sans interdit. On gomme les différences et les élèves qui ne se regardaient pas finissent pas s’entendre. Mes souvenirs, ce sont leurs sourires ou leur sérieux, ou les deux.

Votre plus grande fierté ?

Oh ! Il y a encore une fois bien des exemples. Le dernier en date, c’est le regard-retour d’une collègue exigeante avec les élèves qui a été impressionnée, le temps d’un morceau de musique, par leur interprétation tellement chiadée, tellement léchée, travaillée, répétée… Elle a témoigné du fait que ce qu’elle avait vu alors était tellement élaboré que c’en était devenu chorégraphique. Personnellement et c’est une autre fierté, je pense à ces élèves de sixième venus sur leur 31 pour la captation du projet. Chaque élève est une réussite à plus ou lointaine échéance. On plante un pépin de poésie, et on verra bien.