Nous sommes particulièrement chanceux, car nous avons des voisins que nous adorons, l’association Adèle de Glaubitz. On se côtoie et se pratique depuis longtemps avec leurs différents services, arpentant à vitesse grand V et dans les deux sens la centaine de mètres qui nous sépare. Une liste d’actions et d’interactions longue comme le bras, dont les conséquences bénéfiques pour les uns et les autres nous surprennent encore régulièrement. Et pourtant, du côté du DASCA (Dispositif de Soins Coordonnées pour l’Autisme), un projet atypique a encore réussi à éclore, pour toucher ceux auxquels on pense moins quand on évoque l’autisme, et qui sont pourtant directement concernés, les fratries. Un projet rendu notamment possible par Aurore Kiesler, éducatrice partenaire de longue date, avec une féroce détermination dans laquelle nous nous reconnaissons forcément. Entretien.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Aurore Kiesler, je suis éducatrice. J’ai longtemps travaillé auprès d’enfants et d’adolescents autistes dans différents établissements spécialisés. Actuellement, je travaille au DASCA (Dispositif de Soins Coordonnées pour l’Autisme) de l’association Adèle de Glaubitz, et j’occupe plus précisément des missions de sensibilisation, de formation et de mise en place de projets en faveur des personnes autistes pour favoriser leur inclusion dans la société.
Comment tout a commencé ? Comment s’est faite votre rencontre avec l’Espace Django ?
L’établissement où je travaille est situé au Neuhof, tout proche de l’Espace Django. Un partenariat plus général était déjà en place avec les établissements gérés par l’association Adèle de Glaubitz sur le site du Neuhof. C’est au travers des récréations artistiques organisées par l’Espace Django que le lien s’est fait avec le DASCA. L’Espace Django a toujours eu des valeurs d’ouverture, de créativité et d’innovation qui ont facilité des réflexions toujours très riches avec l’équipe, et la mise en place de projets communs, depuis sept ans.
L’autisme impacte fortement la vie des premiers concernés, mais aussi plus largement la cellule familiale.
Qu’est-ce qui vous pousse à questionner plus particulièrement ces rapports ?
Dans notre travail au quotidien, on se rend très vite compte qu’accompagner un enfant autiste nécessite de prendre en compte la sphère familiale. En tant que professionnels, nous sommes en contact avec les personnes autistes quelques heures dans la semaine. Or, la personne est autiste 24h/24h, toute la semaine, et… cela dure toute sa vie ! Il est important de proposer un soutien à la famille : offrir des espaces d’écoute et de répit, expliquer le fonctionnement différent de la personne autiste, repérer et respecter certaines de ses particularités, proposer des aménagements au quotidien… Très souvent ce sont les parents concernés directement, mais il y a aussi d’autres personnes impliquées : les frères et sœurs.
Le projet VOIX, c’est quoi ?
Le projet VOIX est né d’une envie de proposer un espace d’expression aux fratries des enfants qu’on accompagne au DASCA. Pour motiver et intéresser des adolescents, il fallait innover. Le partenariat avec l’espace Django nous a rapidement amené à réfléchir sur un projet « hors les murs » autour de la musique. Le partage de leur enthousiasme et de nos idées a tout de suite créé une émulsion de possibles… C’est comme ça que le projet VOIX est né : « Viens, Oublie, Invente, EXprime-toi » (VOIX). 4 adolescents « LES BIG BROTHER » se sont retrouvés durant trois après-midi en juillet 2022 à l’Espace Django. Avec l’aide de l’artiste Lexy Walt, ils ont pu composer et clamer un morceau de rap « L’enfant formidable ». Disponible ici !
Votre plus grande fierté avec ce projet ?
De voir l’émotion se propager à l’ensemble des personnes qui découvrent la production des jeunes de ce projet VOIX intitulé « L’enfant formidable »… et encore plus lorsqu’un parent des jeunes en question, s’est levé et a demandé un autographe à son fils et aux autres participants.
Nous avions accueilli le groupe Astéréotypie en 2018, sur lequel nous avions déjà travaillé ensemble d’ailleurs. Aujourd’hui en tournée et à l’affiche de nombreux festivals, dont les Transmusicales récemment, quel sentiment cela vous procure-t-il ?
Nous nous étions en effet retrouvés autour d’un projet commun, hors de mon champ professionnel. Je suis par ailleurs présidente de l’association Autismes Aujourd’hui, qui vise à mieux faire connaître l’autisme au grand public. Dans ce cadre, vous avez rejoint nos actions durant la semaine de sensibilisation à l’autisme à Strasbourg, en enrichissant notre programme de manifestations, avec l’organisation d’un Concert avec le groupe Astéréotypie à l’Espace Django. Quelle fierté de voir se produire des artistes pour une soirée « hors normes » !
Ces artistes, avec leurs textes atypiques, touchants et engagés, nous montrent sur scène combien l’art et la musique en particulier nous rassemblent en une même humanité ! Cela nous montre bien combien la différence a toute sa place dans notre société ! À quand leur retour à l’Espace Django ?
Récemment vous avez sensibilisé en quelques heures l’équipe de l’Espace Django à l’autisme. Y’a-t-il une vraie méconnaissance face à la réalité de l’autisme et à notre manière de se comporter face à lui ?
L’autisme concerne aujourd’hui 1 personne sur 100. Il s’agit d’un handicap invisible, et encore très souvent méconnu ou stigmatisé. Les personnes autistes ont un fonctionnement cérébral différent et nous apportent un autre regard sur le monde. L’inconnu nous fait peur ; actuellement, on entend beaucoup parler d’inclusion ; mais comment accueillir et inclure quelque chose que nous ne connaissons pas ?
Un souvenir marquant de nos moments partagés ?
Le projet avec les Weepers Circus. Ils étaient venus à différentes reprises rencontrer les enfants autistes de notre établissement et faire un concert chez nous ; les enfants ont pu assister aux répétitions. Grâce à ces différentes étapes, les enfants ont pu se familiariser avec les musiciens, l’environnement, et ont assisté au concert dans vos locaux. C’étaient des moments très forts avec les artistes. Chacun des projets que nous conduisons avec les enfants autistes ont un objectif, et des effets positifs sur eux ; mais on peut voir aussi que cela a eu un impact fort et positif sur les partenaires et les musiciens, qui sont ressortis de ces rencontres avec un regard nouveau sur la différence.
Que faudrait-il mettre en place pour que la population comprenne mieux l’autisme et les bons comportements à adopter ?
Il serait nécessaire qu’on les respecte comme tout citoyen lambda, que leurs droits et leurs possibilités d’accès aux espaces de droit commun soient respectés. C’est un engagement à la fois politique, médiatique au sens large, mais également individuel : chacun à son échelle, peut apporter une pierre à l’édifice de la rencontre, de la connaissance et du respect de la différence, sans jugement.