COOPERER, SOUTENIR, FABRIQUER

17.12.2019

Depuis plusieurs saisons, nous travaillons de façon très étroite avec Le Noumatrouff, cette Scène de Musiques Actuelles (SMAC) emblématique de la région, située à Mulhouse, qui œuvre depuis plus de 25 ans aux côtés des artistes et des professionnels du secteur. Partageant la même envie de croiser nos regards, nos pratiques et nos réseaux pour renforcer nos actions au service des artistes et de leur développement, nous avons mis en place ensemble un cadre d’échanges innovant. Olivier Dierterlen, directeur du Noumatrouff, revient avec nous sur cette initiative.

Tout est parti d’un constat simple : nous sommes engagés au même endroit, le soutien à l’émergence et à la diversité musicale, des enjeux que nous traversons le plus souvent de façon complémentaire, de façon isolée aussi alors qu’en collaborant, il devient possible d’expérimenter, de consolider, de mutualiser. C’est bien ainsi que tout a démarré ?
Les musiques amplifiées sont source d’une grande vitalité et cela, nous le constatons au quotidien au vu des nombreuses sollicitations. Ainsi, accompagner les artistes fait partie de l’ADN du Noumatrouff depuis sa création et les équipes qui se sont succédées ont toujours tenté d’y répondre au mieux, que ce soit pour des conseils administratifs, de la répétition, du travail sur scène, de la recherche de concerts... Au fil du temps, les actions se sont structurées et aujourd’hui, il existe de nouveaux métiers comme régisseur de répétition ou encore chargé d’accompagnement afin de proposer les réponses les plus adaptées. La notion d’accompagnement est intéressante dans le sens où l’on ne considère pas qu’il y a une logique verticale avec d’un côté quelqu’un qui détiendrait la vérité ou le savoir, et en face une personne sans expérience ni connaissance. Au contraire, il s’agit d’être à côté et à l’écoute afin de favoriser les échanges parce qu’il y a toujours beaucoup d’expériences, de savoir-faire à partager, et c’est là que celui qui accompagne doit pouvoir faire des propositions pour lever des doutes ou des blocages. Il agit comme un catalyseur. Ce n’est pas pour autant qu’il existe de solutions miracles et c’est pourquoi je dis souvent aux musiciens de ne jamais arrêter de jouer et d’entretenir ou de chercher sa singularité, c’est me semble-t-il l’une des clés de la réussite d’un projet. Mais pour répondre plus directement à ta question, c’est vrai que nous avons cheminé et expérimenté chacun de notre côté, avec nos singularités de territoire, de public, de questionnement, et aujourd’hui nous collaborons plus étroitement et cela ne peut être que bénéfique pour les artistes. En effet, en développant cette coopération, nous avons obtenu des financements spécifiques de l’Etat et de la Région et cela nous a permis de renforcer des actions vers la professionnalisation des artistes de la région, en proposant des résidences de création dans des conditions professionnelles, avec une rémunération de l’ensemble des équipes techniques et artistiques. Je le souligne car cela est assez rare dans notre secteur alors que pour d’autres pratiques artistiques, il est assez courant que les gens soient payés pour fabriquer un spectacle. Mais au-delà de l’aspect financier, nous avons également collaboré avec le studio de la Ferme de Rodolphe Burger et la Fédération Hiéro Colmar. C’est là que l’action prend tout son sens et met en lumière les logiques de coopération, de mutualisation, d’économie d’échelle, qui sont des mots que nous entendons régulièrement de la part des collectivités et de l’Etat. Au final, depuis 2017 nous avons pu organiser 34 jours de résidence pour 6 groupes entre le Noumatrouff, le studio de la Ferme et l’Espace Django, mais également financer des formations et quelques concerts stratégiques notamment à Bourges.

Depuis cette intention de départ, beaucoup a été fait, directement auprès des artistes accompagnés mais aussi de leurs «développeurs » et plus largement de la filière au niveau local. Y a-t-il des initiatives en particulier qui t’ont marqué ?
A l’heure où nous construisons un réseau d’acteurs du Grand Est, il nous semblait important de renforcer des liens au niveau local par des actions concrètes, sachant que jusqu’à présent nous n’avions pas de structure régionale entre le Haut-Rhin et le Bas-Rhin. Je précise tout de même que cela ne nous a pas empêché de travailler en réseau, notamment via les Centres de Ressources issus d’une politique départementale. Aujourd’hui, il faudra bien faire une évaluation de cette action au regard des interactions futures entre les acteurs du Grand Est mais ce que je retiens, ce sont les échanges et les rencontres que nous avons pu provoquer entre des artistes et le milieu professionnel. Je pense par exemple à la résidence de Siboy qui a abouti à la signature auprès d’un tourneur reconnu ou encore le concert des Knuckle Head à Bourges qui a provoqué la rencontre avec une manageuse pour ensuite une signature avec un gros tourneur.

D’autres sont-elles encore à inventer d’après toi ?
Nous sommes dans une logique d’expérimentation permanente et même si aujourd’hui il y a un meilleur savoir-faire et quelques techniques plus objectives, il faut continuer à chercher et à se remettre en question. La réussite d’un projet artistique ne se décrète pas, c’est le fruit d’un travail au long court même s’il y a quelques exceptions de fulgurance. Je crois qu’il faut continuer à provoquer les rencontres, à montrer la richesse de toute cette création, lors des festivals, des salons, des rencontres pros en France et dans le reste du monde... Et, de temps en temps, il se produit non pas un miracle mais l’aboutissement d’une stratégie qui va favoriser la sortie d’un album, permettre une signature dans un label ou encore une première partie au stade de France !

Dans le même mouvement, Django a rejoint à vos côtés l’opération Iceberg, renforçant la part des alsaciens dans ce dispositif, mais aussi le SMA (Syndicat des Musiques Actuelles) et la Fédélima (Fédération des Lieux de Musiques Actuelles). Content d’être enfin secondé par un « petit frère » à proximité ?
Je trouve qu’il est important de regarder ailleurs pour voir comment font d’autres gens qui sont animés par la même passion, et j’ai toujours eu cette envie et cette curiosité. Cela m’a conduit à participer à la création de la Fédurock en 1994 et de suivre ses travaux pour aboutir à la Fédélima et au SMA, pour lequel j’ai siégé au bureau pendant 3 ans et 6 ans au Conseil National. C’est vrai que pendant de longues années, je me suis senti un peu seul en étant quasiment l’unique alsacien de l’assemblée. Mais aujourd’hui ce n’est plus le cas, et je m’en réjouis. Il y a également le réseau Rhin-Rhône, constitué des acteurs de Bourgogne-Franche- Comté avec lesquelles nous co-organisons le festival GénériQ, et l’opération Iceberg, pilotée par les Eurockéennes et la FCMA pour le versant suisse, que vous avez rejoint l’année dernière. Tu parles de « seconder » mais ce n’est pas le bon terme, je dirais que nous sommes ensemble pour continuer à inventer de nouveaux modes de co-construction.

Le Nouma a fêté il y a peu ses 25 ans. Une belle saison anniversaire, pour cette salle historique en France, qui fait partie des bâtisseurs dans notre secteur. Que peut-on vous souhaiter pour les 25 années à venir ?
Oui mais les 25 ans c’était hier, et aujourd’hui nous sommes plus proches des 30 ans de la salle qui arriveront en 2022...
Il est vrai que pendant longtemps, nous étions en avance mais aujourd’hui nous sommes à une étape importante, celle d’engager une réhabilitation importante voire une nouvelle construction. En effet, les équipements d’aujourd’hui se sont spécialisés pour faire face aux évolutions techniques, économiques, artistiques et même si le Noumatrouff reste toujours une étape importante dans les tournées de groupes, pour le plus grand bonheur des publics, il est plus que nécessaire d’imaginer un nouveau Noumatrouff pour les prochaines 25 années et les nouvelles générations. Une étude vient de démarrer avec les services de la ville.

L’Espace Django est plus jeune... Avec une autre histoire, d’autres parcours, d’autres défis aussi. Quel regard portes-tu sur notre projet ?
La culture m’a toujours semblé être une bonne entrée pour favoriser le mieux vivre ensemble, que ce soit par la diffusion mais également et surtout par le travail de médiation. Et là, je dois dire que vous avez une belle approche à Django, que vous être très volontaires et inventifs dans votre rapport au quartier qui vous entoure. En effet, entre les concerts cachés, les concerts aux fenêtres, les récréations artistiques entres autres, vous offrez avec générosité aux habitants une ouverture à l’art et à tout ce qui nous questionne et nous interpelle.